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On demande un assassin avec sous-titres 1440

Zoo ou l’assassin philanthrope est une rййcriture du conte philosophique Les Animaux dйnaturйs. Les enjeux de cette comйdie ayant dйjа йtй йtudiйs, nous vous invitons а vous reporter а la page consacrйe au roman de 1952. Nous approcherons ici plus spйcifiquement l’йcriture thйвtrale que Vercors, fйru de Shakespeare, a soigneusement pensйe et qui nous amиne а dire dans le sillage du personnage de Frances des Animaux dйnaturйs parodiant Macbeth . « ce n’est pas un conte sans queue ni tкte racontй par un idiot » .

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Aprиs la parution en 1952 des Animaux dйnaturйs. Vercors s’essaie en 1963 а la transposition thйвtrale de son conte philosophique. Cette dйmarche de rййcriture d’un genre а un autre- qui n’est pas spйcifiquement propre а notre йcrivain puisque Giraudoux, par exemple, tenta aussi l’expйrience- s’impose а Vercors de maniиre naturelle :

« Je ne me croyais pas un йcrivain de thйвtre (…). Or, Les Animaux dйnaturйs. parus en 1952, ont passionnй les gens de thйвtre, des deux cфtйs de l’Atlantique, au point de faire l’objet de cinq adaptations successives » ( propos recueillis par J-C Jaubert).

Les dramaturges se heurtent aux difficultйs de la transposition au point d’abandonner le projet et Vercors en conclut que « l’homme le mieux placй pour surmonter [les difficultйs] йtait peut-кtre l’auteur du roman. Je me suis mis а l’ouvrage » .

Cela marque les dйbuts d’une aventure thйвtrale qu’il poursuivra alors de maniиre plus rйguliиre avec Њdipe. Chat. Ah Hollywood.

Le titre de sa piиce tirйe des Animaux dйnaturйs est intйressant а deux йgards :

« Zoo » insiste sur le questionnement zoologique - les tropis sont-ils des hommes ou des singes ?- qui se rйvиle rapidement vain et met en exergue l’enjeu philosophique de la piиce. Etrangement, cela peut aussi nous faire penser а celui qu’il a toujours considйrй comme son maоtre, Gus Bofa. En effet, ce dernier publie en 1935 un album qu’il intitule justement Zoo dans lequel il montre son pessimisme. Serait-ce donc un clin d’њil de l’ancien Jean Bruller dйsenchantй et perdu dans l’univers tel un ciron ( et qui trouvait donc des йchos dans l’њuvre de celui qu’il admirait) devenu pendant la guerre un йcrivain qui se centre dйsormais sur l’homme а l’йchelle de la terre.

La deuxiиme partie du titre contrebalance l’aspect trop sйrieux du dйbut. « l’assassin philanthrope » place la piиce dans le genre de la comйdie tout en maintenant l’esprit du spectateur йveillй grвce а l’йtonnant oxymore. Le spectateur doit donc certainement s’attendre non а une comйdie de boulevard, mais а une comйdie sйrieuse dont le but sera de divertir tout en instruisant.

Zoo ou l’assassin philanthrope a йtй crйй le 24 juin 1963 au festival de Carcassonne dans la mise en scиne de Jean Deschamps. Forte de son succиs, la comйdie est reprise en fйvrier 1964 а Paris au TNP, vйritable « service public », et s’expatrie dans diverses villes d’Europe ( en septembre 1964, Zoo est en rйpйtition а Bruxelles). Otto Preminger avait mкme eu le projet d’adapter Zoo pour Broadway а la fin de l’annйe 1965, mais il y renoncera finalement.

En 1975 la piиce est а nouveau jouйe au Thйвtre de la Ville dans la mise en scиne de Jean Mercure. A cette occasion, celui-ci demande а Vercors de rййcrire sa propre piиce. C’est d’ailleurs cette deuxiиme version que vous pouvez lire actuellement dans l’йdition Magnard de 2003.

Vercors a parfaitement conscience de la spйcificitй du genre thйвtral et il s’en ouvre а P-L Mignon dans le numйro 316 de L’Avant-Scиne de 1964 :

« S’il convient de susciter la rйflexion, le roman est un bon instrument ; s’il faut provoquer un choc йmotionnel, alors le thйвtre s’impose ».

Cette rййcriture tйmoigne de la rйflexion approfondie de Vercors sur la mise en scиne et rйvиle sa parfaite maоtrise des contraintes du genre. Sa mise en scиne est soignйe. le dйcor, l’йclairage particulier а la piиce, le jeu des acteurs doivent concourir а crйer ce « choc йmotionnel » dont parle Vercors. Notre dramaturge poursuit deux objectifs gravйs dans le sous-titre de la piиce. « comйdie judiciaire, zoologique et morale ». La comйdie divertit le spectateur mais elle sert aussi а instruire ; elle est mise en scиne dans un but moral. Comme le conte philosophique Les Animaux dйnaturйs. Zoo est donc ouvertement un apologue. Pourtant dans cette lignйe traditionnelle, Zoo attire par son originalitй :

« …c’est une sorte de piиce policiиre ou, plutфt, de comйdie judiciaire en trois actes. Mais probablement d’un genre inйdit. Ici, il y a bien un meurtrier, mais y-a-t-il une victime. C’est ce qu’on ne sait pas » ( propos recueillis par J-C Jaubert).

Vercors joue ainsi volontairement avec l’horizon d’attente du spectateur.

Du rйcit de plus de deux cents pages des Animaux dйnaturйs а sa reprйsentation thйвtrale qui dure un peu plus de deux heures, Vercors a resserrй le cadre spatio-temporel, le nombre de personnages et l’intrigue.

Vercors intиgre la rиgle de l’unitй d’action en supprimant l’intrigue secondaire des Animaux dйnaturйs. le trio amoureux entre Douglas, Frances et Sybil. Dans la version thйвtrale, le personnage de Frances disparaоt et Sybil devient la fiancйe de Douglas et la fille de Greame. Ces nouvelles relations entre les personnages sont informatives dans la piиce. par cette simplification, tous les regards et toutes les pensйes s’orientent et se fixent sur le procиs. L’intrigue devient plus lisible pour le spectateur d’autant plus que l’exposition des enjeux doit кtre prйcise, rapide et efficace. Quelle que soit la version – celle de 1963 et celle de 1975-, le spectateur entre dans l’action in medias res. D'ailleurs, dans la deuxiиme version, la construction de la piиce se resserre encore puisque Vercors ne propose plus que deux actes et qu’il йlimine le premier tableau ajournant un premier procиs. La tension s’exacerbe donc.

Supprimer ce premier procиs et le mentionner au deuxiиme tableau de la version de 1975, c’est aussi condenser la durйe de l’action lorsque le rideau se lиve. Quant а la concentration spatiale, elle est liйe а la concentration temporelle. L’intrigue a principalement lieu dans le tribunal au moment du procиs- mis а part le tableau de la scиne du crime se situant а Sunset Cottage dans la maison de l’assassin et celui dans lequel les jurйs sont transportйs au Museum. Mais lorsque certains tableaux se dйplacent en Nouvelle-Guinйe, il s’agit en fait d’un flash-back demandй par le tribunal, et qui est une sorte de reprйsentation de la dйposition du tйmoin. Quoique dans l’ombre, le tribunal sous-tend la scиne dans le camp des scientifiques ; il la lйgitimise et lui fait prendre vie et corps sur la scиne dans le prйsent des spectateurs. Ainsi, le spectateur, quoique transportй dans cet ailleurs exotique, sait qu’il est toujours devant le tribunal. Celui-ci convoque а plusieurs reprises ce deuxiиme lieu sur le terrain principal. Cette mise en scиne originale forme donc un ressort dramaturgique fort intйressant.

Le procиs, qui apparaissait seulement au chapitre XI des Animaux dйnaturйs. est le temps, le lieu, l’intrigue, le thиme, l’enjeu central de Zoo. Ce motif rejoint parfaitement ce qui a longtemps йtй un aspect essentiel du thйвtre. la mise en scиne de la parole. Et Zoo n’йchappe pas au genre judiciaire hйritй de l’art oratoire latin. chaque tйmoin intervient et donne ses arguments dans son domaine particulier pour que les jurйs dйcident de la culpabilitй ou de l’innocence de l’accusй. Cette rhйtorique dйlibйrative conduit nйanmoins а une aporie puisque chaque argument est immйdiatement contredit et le jury ne peut trancher. Cela est habilement et comiquement mis en scиne notamment dans le sixiиme tableau, lieu d’une vйritable logomachie entre les deux avocats par le truchement d’un tйmoin :

« JAMESON. Car il est avйrй, n’est-ce pas, mademoiselle, que la constitution des tropis est absolument simiesque ?

SYBIL. Absolument, c’est peut-кtre trop dire…Trиs proche, oui, sans doute.

JAMESON. Mais n’ont-ils pas des bras dйmesurйs, avec des mains qui pendent trиs prиs de terre ?

SYBIL. Oui. Les jambes sont trиs courtes.

MINCHETT. Mais ils se tiennent droit, comme nous !

SYBIL. Ils se tiennent souvent droits.

JAMESON. Mais ils marchent courbйs, en s’appuyant sur le dos des doigts.

SYBIL. Seulement quand ils courent.

MINCHETT. Et leur visage est nu, comme celui des humains !

SYBIL. Mais il est йcrasй comme celui des gorilles (…) ».

Ces stichomythies alertes illustrent l’ensemble de la piиce. il est impossible de dйfinir la nature des tropis dans la mesure oщ l’homme lui-mкme n’a aucune dйfinition. Ces raisonnements logiques sont donc inefficaces et il convient impйrativement de dйplacer le lieu et le nњud du problиme comme le prouvera la scиne dans laquelle tout le monde se rend au Museum.

Par sa nature mкme, le procиs induit un dangereux statisme. Les dramaturges passant par ce motif comme Vercors avec Zoo ou Jean-Claude Carriиre avec La Controverse de Valladolid (piиce issue initialement d’un rйcit qui a des analogies troublantes avec Zoo ) doivent trouver le moyen de rendre un dynamisme scйnique qui йvite l’ennui.

Vercors a rйflйchi longuement а la mise en scиne de sa piиce et il la livre ainsi.

« Certains rйcits commencйs а la barre des tйmoins continueront « jouйs » а l’avant-scиne (…). Le tribunal, avec ses personnages, s’effacera dans l’ombre sans toutefois disparaоtre complиtement ; le spectateur devant ainsi comprendre que, bien que la scиne se passe « ailleurs », c’est le procиs qui continue.

Quand l’action (…) se passe rйellement hors du tribunal, celui-ci devra complиtement disparaоtre dans le noir » .

Ces scиnes jouйes а l’avant-scиne et formant les tableaux 5 et 8 de la version de 1964 ( tableaux 4 et 7 pour la seconde version) sont subtilement enchaоnйes aux tableaux prйcйdents et suivants grвce au fondu enchaоnй et par la continuitй des personnages et des mots. Prenons un seul exemple. au quatriиme tableau, Sybil а la barre est agacйe par le fait d’expliquer ce que les spйcialistes ne peuvent dйfinir alors que c’est leur rфle. Son accablement est marquй par l’exclamation « Oh. » et revient dиs le dйbut du tableau suivant juste aprиs que la lumiиre йclaire cette scиne en flash-back. Et le retour au prйsent du procиs se fait au tableau suivant par le lien de coordination « et » dans la rйplique « Et ces pierres йtaient toutes taillйes…. » coordonnant l’exclamation « Les cailloux !» qui clфt le cinquiиme tableau.

Ces « hors lieux » sont exhibйs а bon escient puisqu’ils sont fondamentaux pour dйfinir l’homme, lа oщ la parole profйrйe au tribunal йchoue.

Vercors joue habilement avec les lois du genre thйвtral. Le tribunal dйcide d’aller а la rencontre de ces йtranges tropis dont il parle depuis longtemps. Le thйвtre йtant йtymologiquement « le lieu oщ l’on voit », les spectateurs vont enfin avoir le plaisir de contempler ces fameux tropis. Les grilles de la cage de ces crйatures sont disposйes а l’avant-scиne ce qui oblige le tribunal а affronter de face le public et а regarder а travers ces grilles. La tension entre deux espaces du regard – celui de ceux qui regardent (les spectateurs) et celui de ceux qui sont regardйs (les acteurs) – s’exacerbent ; les grilles symbolisent le seuil fascinant de sйparation entre la scиne et la salle. Les acteurs s’approchent de ce 4 e mur invisible et sont physiquement а la limite de cette rampe qui constitue l’illusion thйвtrale. Les spectateurs initiйs aux codes spйcifiques de cet art vivant sourient de cette oscillation ostensible entre l’illusion thйвtrale- а laquelle ils adhиrent tout en sachant que la fable est inventйe- et ce semblant de basculement dans le rйel de la salle.

Pourtant de l’autre cфtй de ces grilles, sur la scиne, se trouvent des personnages dos au public et regardant le tribunal. Ils ont un « aspect simiesque, mais [sont] vкtus en gardiens ». Le suspense s’installe donc. Au premier abord, les tropis seraient logiquement ces personnages placйs dos au public ; ce dernier attend donc qu’ils se retournent. Il est toujours intйressant de s’interroger sur la faзon dont le metteur en scиne a rйsolu le dйlicat problиme de la reprйsentation physique de ces hommes-singes йtranges et ce, d’autant plus que la description physique antйrieure a avivй la curiositй. Les jurйs s’y trompent aussi ; Draper est obligй de leur indiquer que leurs regards doivent se dйtourner de la scиne et descendre dans la salle obscure oщ sont les spectateurs. Les tropis ne sont pas ceux que l’on croit. Mкme plus. les gardiens, d’aspect animal, sont des hommes et les spectateurs, d’aspect humain, sont des tropis. Quel meilleur moyen de montrer concrиtement la problйmatique initiale. la difficultй de dйfinir ces tropis dans la mesure oщ l’homme lui-mкme n’a jamais reзu de dйfinition.

Intйgrer les spectateurs au jeu thйвtral crйe le choc йmotionnel que Vercors souhaitait pour amener activement le public а s’interroger sur sa propre nature. Les spectateurs sont obligйs par ce dispositif scйnique de rйflйchir sur l’essence humaine. en quoi eux-mкmes sont-ils des hommes. Cet enjeu idйologique a йtй rendu possible grвce justement а l’inversion des espaces. la salle est devenue le lieu que l’on regarde et la scиne est alors le lieu d'oщ l’on voit. Le public devient personnage et acteur ; les acteurs de Zoo reprennent leur place dans le rйel. Bien sыr cette inversion est artifice et c’est justement lа le tour de force et l’ingйniositй de Vercors. le public йprouve d’autant plus de plaisir qu’il entre dans ce jeu de l’illusion thйвtrale tout en sachant pertinemment qu’il est encore au thйвtre. Exhiber cet artifice procure instruction et plaisir а la fois. l’inversion est efficace car elle provoque un йlectrochoc chez le spectateur qui se demande ce qu’il est ; se sentir assimiler а un tropi force а rire puisqu’il sait qu’il reste dans cette illusion thйвtrale. Vercors n’a pas oubliй que Zoo est une piиce comique. les rйpliques des jurйs mйdusйs par la vue de ces spectateurs-tropis provoquent l’hilaritй de ceux qui sont visйs. La Dame les prend pour « des petites bкtes si douces, si gentilles » ; chacun les dйshabille du regard au sens propre comme au sens figurй :

« UNE PETITE DAME QUAKER. C’est aussi qu’on leur a mis des habits, pourquoi. Pour la dйcence. C’est quand mкme tricher, non. »

« LE PRESIDENT DU JURY. L’embкtant, c’est qu’on ne voit pas leurs pieds, enfin leurs mains, dans ces chaussures. Peut-кtre que зa changerait tout. » .

Une connivence se noue avec ces initiйs pris au jeu quand l’enjeu philosophique de la piиce et son aspect thйвtral ostensiblement exhibй se rejoignent et se complиtent. « On croirait avoir affaire а des hommes vйritables ». Les spectateurs exultent de comprendre cette double йnonciation propre au thйвtre. la magie thйвtrale a opйrй.

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